Et maintenant, quoi?
Charlie, c'est d'abord une histoire qui se transmet de père en fille.
Dans une tentative d'instruire sa toute première qui avait l'esprit désespérément scientifique, et pour profiter d'un tarif étudiant avantageux avouons-le, mon père avait décidé d'abonner sa lycéenne de fille. Deux ans passés en compagnie de Charlie. La plupart du temps à le délaisser, le mettre dans un coin en attendant que Daddy les récupère à son prochain passage en France, car quand on est une jeune écervelée il est bien dur de s'intéresser de manière spontanée à ce qui effleure ne serait-ce qu'un peu la politique... Et puis, il y avait ces mercredis où prise d'un peu de courage et de curiosité, il fallait bien essayer d'y comprendre quelque chose, au moins parcourir les caricatures, lire les articles qui étaient accessibles, découvrir la vie secrète des jeunes, pouffer devant les conneries de Maurice et Patapon... et comprendre!
Comprendre pourquoi mon père m'y avait abonné en fin de compte, pourquoi je l'entendais rire quand il le lisait, parce qu'au final, je me marrais bien aussi! Parce que Charlie c'était une recette simple : qui que tu sois, peu importe d'où tu viens ou ce que tu fais, tu vas en prendre plein la tronche et ça va être drôle! Parce que l'humour est sans limite aussi noir soit-il!
Mais ça, c'était il y a déjà 7 ans. Depuis Charlie, n'a refait que des apparitions ponctuelles à la maison. Et aujourd'hui je le déplore un peu, car la marche arrière n'est plus possible... Même si le titre reste intact, le journal et son esprit sont morts. Pas de bras, pas de chocolat? Pas de Charb, pas de Cabu, pas de Wolinski, pas de Charlie!
Mais alors que s'est-il passé le 7 janvier?
J'ai beau y réfléchir, je ne vois pas. Je ne peux simplement pas comprendre. Je conçois que les mots ont un poids, que nous n'avons pas tous le même humour, que nos façons de penser diffèrent, qu'on peut se sentir offensé... mais arrête-t-on de respirer pour autant? N'existe-t-il pas d'autres moyens de réponse que d'ôter la vie à coup d'armes d'assaut? Quels intérêts peuvent donc motiver de tels actes?
Faire preuve d'une telle violence, c'est d'abord illustrer son narcissisme profond. Attirer l'attention, choquer la population, et mourir en martyrs. Pour ne pas avoir à rendre de compte, pour ne rien expliquer de ses actes, pour laisser les autres (les média, le gouvernement) s'emparer de revendications qui ne sont pas les leur.
L'info je l'ai eu, brute. Internet m'a montré ce qu'il s'est passé. J'ai entendu les coups de kalashnikov raisonner dans les rues de Paris, j'ai vu ce policier se faire abattre de sang froid par un abruti qui va faire sa besogne en trottinant, comme un gamin qu'on aurait envoyé chercher une baguette à la boulangerie, j'ai écouté ces mots clamant la vengeance.
Et quoi alors? Si on est rigoureux et qu'on ouvre le dictionnaire, on se rend compte qu'il s'agit bien d'un "attentat terroriste". Attaquer la liberté d'expression d'une part, faire peur aux masses via la violence d'autre part. Et profiter de la confusion pour étirer les événements dans la longueur, faire preuve d'encore plus de violence, pour sortir encore plus de l'ordinaire, pour créer le sensationnel, et au final remettre le peuple entre les mains de ses plus grands bourreaux : les média et la brochette de pourris qui compose le corps politique.
Se replier derrière les grands principes fondateurs de la République, pour rassembler les masses, pour uniformiser la pensée et balayer le débat. Quel que soit le journal, l'information de ces derniers jours est uniforme, le discours unanime... Propagande visant à créer une armée de moutons de la République. On veut nous faire peur. On assorti le mot terrorisme avec ce barbarisme qu'est vigipirate. Car la menace est partout et il faut se méfier à chaque instant. Les terroristes sont parmi nous et nous ne les voyons même pas! Ils peuvent frapper n'importe où et n'importe quand! Devant les écoles, dans les gares, le métro, à l'épicerie, au coin de la rue... Ne sortez pas, isolez vous! Ecoutez ce qu'on vous dit et ne le remettez jamais en question.
Mais en bon humain, impossible de rester le nez à l'intérieur, il faut bien fouiner quelque part, regarder chez le voisin... Heureusement que les réseaux sociaux sont là pour palier à ce problème! On crie au scandale, on appelle au rassemblement, on affiche fièrement "être Charlie" alors qu'avant le 7 janvier, si on en connaissait seulement l'existence, on crachait son venin sur ce torchon journalistique! Mais non... tu te trompes, Charlie c'est le symbole d'une liberté bafouée! En réponse, je dirais mais pourquoi ne pas laisser à Charlie ce qui appartient à Charlie? Pourquoi déguise-t-on le beau nom de Liberté derrière le nom d'un autre qui aurait été le premier à rire au nez de toute cette com!
Car si la marche républicaine du 11 janvier 2015 est indéniablement un moment historique, de par le fait que les gens ont enfin décidé de bouger pour clamer haut et fort ce droit peut être un peu trop oublié jusqu'à maintenant, ce fut aussi la plus belle occasion de souligner l'absurdité de tout cet engouement national! A commencer par la bande de crapules haut placées venue se donner une image alors que dans leur pays d'origine, on sévit quand quelqu'un a le malheur d'ouvrir un peu trop la bouche... En passant par notre propre Président, qui, fier comme un coq (français...), a osé déclarer avec une prétention sans nom "Paris est aujourd'hui la capitale du monde"... Comme si le monde, lui, s'était arrêté de tourner et que la violence qui le compose avait été balayée par ce discours patriote à la con! Un tour de passe-passe et nous voilà tous rassemblés, unis pour la vie, jusqu'au lendemain au moins...
Et maintenant, quoi? Qui va être le grand gagnant dans cette affaire? Car c'est bien l'idée à laquelle se résume la situation non?
Les terroristes? Ah non certainement pas! Vous qui êtes sortis dans la rue hier, avez bien montré qu'ils n'avaient pas gagné... Mais en êtes vous complètement sûrs? Au nom de la liberté d'expression, que va nous imposer le gouvernement dans les jours, semaines, mois à venir? Vigipirate, réformes impopulaires soudainement devenues providentielles, un peu plus de contrôle? On ne pouvait espérer meilleur drame pour faire remonter en flèche la popularité d'un Président mal-aimé, pour mettre Marine sous les spotlights d'un amalgame un peu trop facile à faire, mais surtout pour faire tendre les media toujours un peu plus vers un moyen de propagande au service de la terreur et de la manipulation des masses... Afin d'occulter le reste. Fermer les yeux sur le monde qui nous entoure et sur les problèmes qui nous touchent. Vivre toujours un peu plus dans l'ignorance, à suivre ce qu'on nous dicte, en bon moutons républicains. Et refuser d'admettre que les monstres qui viennent bouleverser nos vies sont ceux que nous avons créés à coup de rejet et d'inégalité.
Que nous reste-t-il à faire? Parce que piétiner dans Paris en chantant la Marseillaise c'est bien beau, mais qu'est ce que ça va changer? Peut être commencer par ne pas oublier, puis rester humble, se demander si l'on mérite vraiment de prétendre à être Charlie en réfléchissant à ce qu'on a fait jusqu'à présent pour empêcher ce qu'il s'est passé, remettre en question notre façon d'être, de vivre, de consommer, de traiter l'autre... et un jour ou l'autre se mettre à agir, pour un petit quelque chose qui nous tient à coeur et qui fait sourire, arrêter de se plaindre de ce qui nous arrive, alors que nous sommes seuls maitres de notre destin et que notre pire ennemi n'est en fin de compte que notre passivité...
Et maintenant, on se bouge!
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